Dossier médical partagé : la boussole des prises en charge complexes

Le dossier médical partagé (ou “DMP”) est apparu comme une réponse aux multiples difficultés rencontrées par les équipes de soins : oublis d’informations, erreurs potentielles, démultiplication des feuilles volantes… Ce carnet numérique, mis en place par l’Assurance Maladie (Améli), conserve de façon sécurisée tout l’historique médical du patient :

  • ordonnances
  • resultats de prises de sang, scanner, IRM…
  • comptes rendus d’hospitalisation
  • listes de traitements en cours ou passés
  • allergies et antécédents médicaux

Chaque professionnel y accède grâce à une identité de connexion sécurisée et peut consulter les données utiles selon ses droits. C’est une réelle avancée pour diminuer le risque de doublons, d’oublis ou de contre-indications. Selon les chiffres de la CNAM, plus de 12 millions de dossiers médicaux partagés étaient déjà créés en 2023 – et la montée en puissance est forte, notamment dans les parcours de soins complexes, tels que l’oncologie ou la gériatrie (Assurance Maladie).

Applications de transmission sécurisée : la fin des post-it et des cahiers perdus

Bien que le DMP soit un outil structurant, il ne permet pas, à lui seul, d’échanger au quotidien sur l’évolution du patient ou les éventuelles difficultés rencontrées à domicile. C’est là qu’interviennent les applications professionnelles de messagerie sécurisée, à l’image de MSSanté, Omnidoc, ou encore Hopi. Leur utilité ? Transmettre en temps réel :

  • les observations cliniques (chute, agitation, évolution d’une plaie…)
  • les besoins urgents (prescription à renouveler, matériel à commander, etc.)
  • les réponses d’un médecin sur l’ajustement d’un traitement

Cela évite que des informations sensibles ne circulent via des SMS ou applications grand public (WhatsApp, Messenger), qui ne sont pas conformes au RGPD ni au secret médical. En 2022, d’après l’Ordre National des Infirmiers, plus d’un tiers des infirmiers utilisaient des solutions de messagerie sécurisée dans leur quotidien. Ce chiffre devrait augmenter avec les incitations réglementaires et la familiarisation des équipes aux outils numériques (Ordre National des Infirmiers).

Ordonnance et prescription numériques : simplifier et sécuriser la chaîne de soins

L’ordonnance numérique (ou e-prescription) constitue une avancée majeure pour limiter les oublis, les erreurs de retranscription et les difficultés de suivi. Le médecin génère une prescription sécurisée, qui est automatiquement transmise à la pharmacie, à l’infirmier coordinateur ou à un autre soignant habilité. C’est un levier clé pour laisser moins de place à l’improvisation et garantir, par exemple, que le renouvellement d’un traitement lourd ne soit jamais oublié pendant le week-end ou un jour férié. D’ici 2025, la prescription de médicaments sous forme électronique deviendra progressivement la norme pour la majorité des actes en France (Santé.fr).

  • Gain de temps : suppression des fax et des papiers à transmettre
  • Sécurité : moins de risques d’erreur lors du passage d’une consigne à l’autre
  • Traçabilité : tout est enregistré, facilement retrouvé

Teléconsultations et réunions de coordination à distance : nouvelles habitudes, nouvelle efficacité

Un patient suivi à domicile peut nécessiter des ajustements de traitement, une surveillance de symptômes ou un échange de points de vue entre différents acteurs (médecin traitant, spécialiste, infirmier, ergothérapeute…). La visioconférence, qui s’est démocratisée depuis la crise COVID-19, s’est imposée comme une solution simple pour réunir “autour de la même table” tous les professionnels afin de :

  • échanger rapidement sur une problématique aiguë
  • mettre à jour les objectifs de soins ou le projet personnalisé
  • impliquer le patient et ses proches dans la discussion

D’après le Baromètre Santé 2023 publié par Odoxa, 62% des soignants exerçant dans le médico-social utilisent régulièrement la visioconférence ou l’audio pour organiser des réunions pluridisciplinaires (source : Odoxa). Les plateformes dédiées, telles que Covotem ou Maela, permettent de centraliser agendas, documents, comptes-rendus, et garantissent aux familles une implication directe dans les choix de vie à domicile.

Tableaux de bord et plateformes collaboratives : mieux se repérer, mieux anticiper

Un des freins majeurs à la coordination reste parfois la “perte de visibilité” sur l’ensemble du suivi : qui fait quoi, quand, et pourquoi ? Les plateformes collaboratives, à l’instar de Terr-eSanté (en Île-de-France), ViaTrajectoire, ou Bimedoc, proposent aujourd’hui d’organiser toute la prise en charge sur un espace partagé :

  • création d’un agenda commun des passages à domicile,
  • partage sécurisé de documents (plans de soins, check-lists d’observations, protocoles spéciaux),
  • ajout d’alertes en cas de problème (par exemple chute, fièvre, passage non réalisé),
  • indicateurs de suivi clinique mis à jour en temps réel (poids, tension artérielle, symptômes spécifiques),
  • moteur de recherche pour retrouver rapidement un antécédent, une photo de plaie ou l’évolution d’une douleur.

D'après une enquête menée par la Fédération Hospitalière de France en 2022, l’adoption de ces outils dans les réseaux de soins à domicile a permis de réduire de près de 20 % les retards de transmission d’informations critiques et d’améliorer la satisfaction des patients accueillis (FHF).

Favoriser l’inclusion des proches aidants et respecter la confidentialité

La communication ne se limite pas aux seuls professionnels : les proches aidants jouent un rôle clé, notamment dans les pathologies chroniques ou en fin de vie. De nombreux outils offrent aujourd’hui la possibilité d’associer les familles à certains échanges (par exemple pour visualiser les prochains rendez-vous, signaler des événements ou poser une question au coordinateur). Il est essentiel, cependant, de respecter scrupuleusement la confidentialité du dossier médical ; seules les informations strictement nécessaires et préalablement validées par le patient peuvent être partagées.

Depuis 2019, la CNIL a édité une charte dédiée à la gestion des accès et à la sécurisation des données pour garantir au patient une maîtrise réelle de ce qui est partagé et à qui cela est transmis (CNIL).

Quels défis restent à relever dans la coordination à domicile ?

  • Interopérabilité : la coexistence de nombreux logiciels, parfois incompatibles, multiplie les doubles saisies ou oublis. La généralisation de standards communs (formats HL7, IHE) est en cours, mais la mise en œuvre reste lente.
  • Acculturation numérique : certains soignants ne maîtrisent pas encore les outils ou manquent de temps pour s’approprier ces nouvelles pratiques. Les formations se développent, mais l’accompagnement reste essentiel, ainsi qu’un support technique disponible rapidement.
  • Éthique et consentement : Le respect du choix du patient de ne pas tout partager, ou de limiter l’accès à certains professionnels, doit être prioritaire.
  • Maintien du lien humain : L’outil ne doit jamais remplacer la rencontre, l’écoute et la relation de confiance, mais les compléter.

Pour aller plus loin : mieux communiquer, c’est rassurer et protéger

Rien ne remplace le regard ou la parole posée d’un professionnel, mais il serait dommage de s’en priver lorsque la technologie peut aider à prévenir les oublis, fluidifier la coordination et enrichir les échanges. Dossier médical partagé ; messageries sécurisées ; plateformes collaboratives : chaque outil doit trouver sa juste place pour soutenir la bienveillance, la vigilance, et le respect de chacun. S’informer, se former, accompagner les familles dans l’adoption de ces nouveaux réflexes : voilà ce qui apportera, progressivement, plus de sérénité à la maison.

Pour approfondir le sujet : - Ministère de la Santé – Dossier e-santé et numérique en santé - Haute Autorité de Santé – Coordination des soins au domicile - Cespharm – Outils numériques en santé au domicile : points de vigilance